Claude Piron

Espéranto : l’image et la réalité


8. L’espéranto, jouet d’idéalistes ?


"C’est cette idée – que la babélisation de l’humanité est la source de tous les malentendus et de tous les maux – qui a inspiré et inspire encore les créateurs et les propagandistes des langues universelles de synthèse, l’espéranto en particulier".(1)
"L’espéranto, qui résoudrait comme par miracle tous les problèmes – et pas seulement linguistiques ! – entre les hommes".(2)
"On affirme que la paix serait automatiquement instaurée entre les peuples (...) grâce à une deuxième langue commune".(3)


L’image de l’espéranto inclut souvent l’idée que ses partisans sont des idéalistes qui s’imaginent que la paix et l’harmonie résulteront automatiquement de l’adoption de leur code linguistique.


Personnellement, nous n’avons jamais rencontré d’espérantophone qui défende une position aussi naïve et nous n’avons trouvé de telles affirmations ni dans les réunions auxquelles nous avons assisté, ni dans les nombreux documents émanant du monde de l’espéranto que nous avons lus dans le cadre de notre recherche. Depuis quelque temps, lorsque semblable assertion paraît dans la presse, nous lançons un défi à son auteur : nous lui offrons 3000 francs suisses s’il peut nous citer un document émanant de la collectivité espérantophone qui lui permette d’étayer ses dires. Ce défi n’a jamais été relevé. On peut en conclure que les auteurs qui attribuent cet idéalisme naïf aux partisans de l’espéranto ne se fondent sur aucune étude réelle du milieu qu’ils prétendent décrire; ils ont rédigé leur texte sans avoir sous la main la preuve documentaire qui les rendrait crédibles et justifierait leur ton catégorique.


Notre propre recherche d’un tel document n’ayant donné aucun résultat, force est d’admettre que cette idée – l’équation "espéranto = paix" – n’a jamais eu cours au sein de la collectivité espérantophone. Il s’agit purement et simplement d’un préjugé, dont l’origine est probablement liée à la haute valorisation du dialogue parmi les usagers de l’espéranto, ainsi qu’à leur volonté de respecter toutes les identités culturelles et linguistiques.


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1. Cellard, Jacques. "Le syndrome d’Esope", Le Monde, 2 juillet 1984.
2.  Silvestri, Gianfranco. "Une huitième langue pour les Communautés", Courrier du Personnel (Bruxelles: Commission des Communautés européennes), 1984, n° 452, p. 86.
3. Silvestri, Gianfranco, ibid., p. 87.


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