Claude Piron

Comparaison anglais / espéranto


Nico, vous avez raison. Ce qu'il faut, c'est comparer, et comparer dans la pratique. J'ai assisté et participé à beaucoup de réunions internationales en anglais, j'ai aussi assisté et participé à beaucoup de réunions internationales en espéranto.


Sur le plan de la prononciation, il n'y a pas de doute que la comparaison est favorable à l'espéranto. Le simple fait qu'il n'ait que cinq voyelles au son pur le rend nettement plus clair à l'audition pour tous que l'anglais avec ses seize sons voyelles souvent difficiles à différencier. La plupart des peuples n'arrivent pas à distinguer bad manners "mauvaises manières" de bed manners "façon de se comporter au lit". Third "troisième" et first "premier" sont souvent impossible à distinguer lorsqu'ils sont prononcés avec un accent japonais ou coréen, alors que même avec un accent chinois, arabe ou australien, tria ("3e") et unua ("1er") sont parfaitement clairs. Par ailleurs, presque tous les mots, en espéranto, se terminent par une voyelle, une semi-voyelle, un /s/ ou un /n/ et il y a peu de monosyllabes. Pour beaucoup de peuples, des groupes de consonnes fréquentes en fin de mot en anglais comme /rst/, /pt/, /lk/, etc. sont une torture que leur épargne ce trait de l'espéranto, qui, en outre, facilite sensiblement la compréhension.


Sur le plan grammatical, l'espéranto évite le flou de l'anglais, cause de bien des malentendus. Un English teacher peut être turc ou bolivien, mais cette expression est comprise par beaucoup de non-anglophones comme signifiant "prof britannique". Est-ce qu'une patient information volunteer à la réception d'un hôpital est une bénévole qui donne des renseignements sur les malades ou une bénévole affectée au service de l'information qui se trouve être dotée d'une grande patience? Pareille ambiguité est impensable en espéranto. Troisième exemple: malaria therapy et malaria treatment ont la même structure et treatment est synonyme de therapy. Pourtant la première expression désigne une forme de traitement, l'impaludation thérapeutique, alors que la deuxième veut simplement dire "traitement du paludisme". En espéranto, on dit permalaria terapio dans un cas, et malaria traktado, ou mieux traktado de malario dans l'autre. On ne rencontre guère dans cette langue les confusions auxquelles l'anglais donne lieu.


Enfin, on obtient beaucoup plus facilement de l'assurance en espéranto qu'en anglais. On a un sentiment de sécurité parce qu'on peut se fier à la cohérence de la langue. Il y a beaucoup moins de pièges qu'en anglais, on le sait, et ça donne confiance. La dernière fois que j'ai parlé anglais en public, j'ai fait un certain nombre de fautes qui auraient été impossibles en espéranto: costed au lieu de cost, indict prononcé avec /ikt/, comme dans derelict, alors qu'il aurait fallu prononcer avec /ait/ comme dans right, accent tonique mal placé dans monitoring, etc. En anglais j'hésite beaucoup plus qu'en espéranto. Au terme d'un exposé en espéranto, je suis nettement moins fatigué, nerveusement, que si j'ai dû m'exprimer en anglais. Or j'ai probablement plus de pratique de l'anglais que de l'espéranto. Quand on parle espéranto, on se pose moins de questions, on se laisse porter par la régularité de la langue. Comme l'effort du cerveau ne porte pas sur la forme, on peut se concentrer sur le fond et faire attention à ce qu'on dit, et pas à la manière de le dire correctement.


Je pourrais continuer pendant des pages et des pages, mais ce serait lassant. Dans mon expérience, il n'y a pas de doute que l'espéranto est très supérieur à l'anglais, tant du point de vue de la rapidité d'acquisition, que de la clarté, de la précision et de la possibilité de s'exprimer avec une belle spontanéité.


C'est vrai qu'il peut y avoir quelque chose d'énervant dans la ferveur avec laquelle certains défendent l'espéranto, mais il n'est pas moins énervant, quand on sait par expérience à quel point il dépasse par la qualité (et le faible investissement en effort) les autres moyens de surmonter la barrière des langues, de voir le temps et l'argent que notre société fait perdre aux élèves et aux populations en général parce qu'elle fait comme s'il n'existait pas et comme s'il n'y avait pas d'alternative à l'anglais. Il serait temps de se mettre à comparer. Comparer dans les faits, comparer à tous points de vue. Ce conseil de Nico devrait être adressé à tous ceux qui ont la responsabilité du bien-être des populations, sinon au niveau mondial, du moins au niveau européen.