Claude Piron

Lettre à France Inter, emission "Générations"


Il est vraiment regrettable que le très intéressant programme de vendredi (18 novembre) sur les langues minoritaires ait été entaché d'une énorme bourde prononcée vers la fin par Etienne Besnaut. Pour dire que l'espéranto est un échec cuisant, il faut négliger deux choses: le but défini au départ et la perspective historique.


1. Échouer, c'est ne pas atteindre son but. Il est donc absurde de parler d'échec sans se référer à l'objectif. Or, le but de l'espéranto, défini dans la brochure qui a été le point de départ de la langue, était que chaque personne l'ayant apprise puisse communiquer efficacement avec des personnes d'autres nations, que la langue soit ou non adoptée dans le monde entier, qu'elle ait ou non beaucoup d'usagers. Personnellement, j'utilise cette langue tous les jours et je la pratique avec des gens de plus de cent pays. Pour moi, et pour quelques millions d'autres personnes, il n'y a donc pas échec. Dans mon cas, c'est l'anglais qui est un échec puisque, bien que j'aie vécu cinq ans à New York, je ne suis jamais sur un pied d'égalité avec un anglophone comme je le suis avec une personne avec laquelle l'échange se fait en espéranto.


2. La propagation de l'espéranto est marquée par le rythme lent de l'histoire. Elle suit la courbe exponentielle qu'on retrouve souvent dans les phénomènes sociaux. Masochiste, l'humanité commence toujours par opposer une farouche résistance aux innovations non techniques qui ont le triple défaut d'être créatives, agréables et plus faciles que les systèmes rivaux. Il a fallu trois siècles pour que les chiffres arabes remplacent les chiffres romains, et 120 ans après que Gilbert Mouton eut proposé le système métrique, donc en 1767, ce chef d'ouvre de cohérence n'était encore utilisé nulle part. Aurait-on eu le droit, à cette date, de parler d'un "échec cuisant" du système métrique? Par comparaison, le succès de l'espéranto est impressionnant. Cent vingt ans après son apparition sur la scène publique, c'est une langue qu'on peut parler dans un très grand nombre de localités d'une centaine de pays avec des représentants des populations locales. Je le sais par expérience: j'ai parcouru le monde pour l'OMS et presque partout j'ai eu des contacts avec des habitants du cru avec lesquels mes collègues n'ayant que l'anglais en étaient réduits à communiquer par gestes et expressions faciales, autrement dit à être exclus de tout échange sérieux.


Échec cuisant, l'espéranto ? Seule une personne qui ignore son ignorance peut lancer une affirmation pareille. Les spécialistes ont souvent le travers de parler sur un ton d'autorité de sujets proches de leur spécialité, mais sur lesquels ils ne se sont pas documentés. C'est compréhensible, c'est humain, mais cela débouche hélas sur de la désinformation. Pourriez-vous rectifier la chose dans une future émission?


Claude Piron, 22 rue de l'Etraz, CH-1196 Gland, Suisse, auteur de l'ouvrage "Le défi des langues" (Paris : L'Harmattan, 2e éd. 2001).


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Estas vere bedaŭrinde, ke la tre interesa programo de vendredo 18-a de novembro pri minoritataj lingvoj iĝis makulita per gravega fuŝdiro prononcita de E.B. iom antaŭ la fino. Kiu asertas, ke Eo estas "akra fiasko", preteratentas du punktojn: la celon dekomence difinitan, kaj la historian perspektivon.


1. "Malsukcesi" signifas "ne trafi la celon". Estas do sensence paroli pri malsukceso sen konsideri la celon. Nu, la celo de Eo, kiel difinita en la broŝuro, kiu estis la deirpunkto de la lingvo, estis, ke ĉiu persono lerninta ĝin povu komuniki kun alinacianoj, egale ĉu la lingvo estos tutmonde adoptita, egale ĉu ĝi havos aŭ ne multajn uzantojn. Persone, mi uzas tiun lingvon ĉiutage kaj mi rilatas per ĝi kun homoj el pli ol cent landoj. Por mi, kaj por kelkmilionoj da personoj, ĝi ne fiaskis. Miakaze malsukcesis la angla, se konsideri, ke, kvankam mi loĝis kvin jarojn en Novjorko, mi neniam troviĝas egalnivele kun anglalingvano kiel mi troviĝas kun e-isto.


2. Karakterizas la disvastiĝon de Eo la malrapida ritmo de historiaj fenomenoj. Ĝi sekvas la eksponencialan kurbon, kiun oni ofte observas en sociaj evoluoj. Masoĥisme, la homaro ĉiam komence kontraŭmetas severan reziston al neteknikaj novaĵoj, kiuj prezentas tri abomenaĵojn: deveni de homa kreemo, esti agrablaj kaj esti pli facilaj ol la rivalaj sistemoj. Necesis tri jarcentoj por ke la arabaj/hindaj ciferoj anstataŭu la romajn, kaj 120 jarojn post kiam Gilbert Mouton proponis la metran sistemon, do en 1767, tiu ĉefverko de kohero ankoraŭ nenie uziĝis. Ĉu iu ajn rajtus tiujare paroli pri la "akra fiasko" de la metra sistemo? Kompare, la sukceso de Eo estas impona. Cent dudek jarojn post sia apero sur la publika scenejo, estas lingvo, kiun eblas paroli kun lokanoj en multegaj lokoj de cento da landoj. Tion mi scias proprasperte: mi travojaĝis la mondon por Monda Organizo pri Sano kaj preskaŭ ĉie mi havis kontaktojn kun lokanoj, kun kiuj miaj kolegoj provantaj uzi la anglan povis nur komuniki geste kaj vizaĝe, alivorte esti ekskluditaj el ĉia serioza ide-interŝanĝo.


"Akra fiasko", Eo, ĉu? Nur persono, kiu nescias pri sia nescio, povas lanĉi tian aserton. Specialistoj ofte prezentas la miskonduton pritrakti kun aŭtoritata tono temojn proksimajn al la propra fako, sed pri kiuj ili ne informiĝis. Estas kompreneble, estas home, sed la rezulto, ho ve!, estas misinformi. Ĉu vi povus restarigi la veron en venonta programo?