Claude Piron

Quelques questions et réponses


--- "Connaissez-vous une culture espérantophone?", demandez-vous.


Oui. J'en discuterai volontiers avec vous si vous voulez bien lire (ou au moins parcourir) l'article "Culture et espéranto".


--- "Quelles valeurs l'espéranto transmet-il?"


Il m'en a transmis beaucoup. Le respect de chaque culture. Le respect des petits. L'importance de la solidarité. La tolérance. Le fait qu'il vaut mieux régler les conflits par un dialogue d'égal à égal que par la force, y compris cette espèce de violence qui force les gens, pour la communication internationale, à utiliser l'anglais faute de voir qu'il y a des moyens plus équitables, qui créent moins de distance entre les personnes selon leur origine ethnique ou sociale. La découverte du fait que ce n'est pas parce qu'une langue n'est pas prestigieuse que le peuple correspondant n'a pas une culture intéressante (je dois à l'espéranto tout ce que je sais des littératures baltes, polonaise, hongroise, japonaise et autres). La découverte du fait que la plupart des problèmes se prêtent à diverses solutions également bonnes, même si certaines peuvent paraître bizarres, au premier abord, à une personne comme "moi", conditionnée par "ma" culture. La joie de la rencontre humaine, par exemple du partage d'expériences douloureuses ou joyeuses avec des personnes de l'autre bout du monde (Corée, Ouzbékistan, Brésiliens noirs du sertão..., pour me limiter à ma propre expérience de l'échange confidentiel en espéranto). Etc.


--- "Quelqu'un revendiquerait-il l'espéranto comme sa langue maternelle?"


On estime à un millier le nombre de personnes ayant l'espéranto pour langue maternelle. J'en connais personnellement plusieurs, par exemple les enfants de Renato Corsetti (père italien, mère britannique), de Normand Fleury (père québecois, mère croate) et d'autres dont j'ai oublié le nom. Je connais des couples étatsunien-mexicain, néozélandais-japonais, suisse allemand-polonais, hongrois-flamand, polonais-italien, turc-japonais, arménien-chinois, etc. ... qui se sont formés dans le monde de l'espéranto et dont l'espéranto est la langue quotidienne, familiale. Il existe un groupe d'échange par e-mail entre familles dont l'espéranto est la langue de tous les jours, sa "home page" se trouve à l'adresse http://www.helsinki.fi/~jslindst/denask-l.html.


--- "Qui se sentirait atteint dans son identité?"


Moi, entre autres. L'espéranto n'est pas ma langue maternelle, mais c'est la langue dans laquelle, depuis l'âge de douze ans, je pense le plus souvent. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on le critique, comme j'accepte volontiers qu'on critique ma langue maternelle. Mais cela m'attriste quand on critique avant d'avoir rencontré, avant de s'être documenté. Quand on méprise ou rejette une personne parce que les hasards de la vie ont fait qu'elle s'est identifiée très tôt à l'espéranto (c'est mon cas), cela me fait mal. J'ai expliqué dans mon livre "Le défi des langues" (Paris: L'Haramttan, 2e éd. 1998, ISBN 2-7384-2432-5, chapitre X) comment il se fait que l'espéranto donne lieu à un sentiment d'identité, contrairement, par exemple, à l'anglais employé entre allophones.


--- "Ce nom trahit ses origines latines".


J'envie votre clairvoyance. J'ai beau regarder votre nom, je sais que je ne sais rien de vous. Comment faites-vous pour savoir ce qu'est l'espéranto rien qu'en regardant son nom? Savez-vous que ce n'était pas le nom de la langue à l'origine, que c'est le public qui lui a donné ce nom? Elle s'appelait au départ, tout bêtement, "Langue internationale" (du Dr Esperanto).


--- "Est-ce à dire que le latin est plus important que le grec, le chinois, le birman?"


Nous en reparlerons si vous voulez bien lire mon article (deux pages) "Langue occidentale, l'espéranto?" à l'adresse http://www.esperanto-sat.info (cliquer sur "Documents") ou ma brochure "Esperanto - European or Asiatic language?" (Rotterdam: UEA, 1981). Peut-être dois-je préciser que j'ai un diplôme de chinois et ai travaillé en Asie orientale, où l'espéranto m'a été très utile. J'ai été initié au chinois par le biais d'une correspondance, quand j'avais 15 ans, avec un Chinois de 17 ans, avec qui j'échangeais environ une lettre par semaine en espéranto.C'est à lui que je dois mon intérêt pour la culture chinoise.


--- "Je suis un farouche défenseur de ma propre culture".


Moi aussi. Je suis un farouche défenseur de mes propres cultures, et notamment de la culture qui s'est développée dans la collectivité d'ampleur mondiale qui a adopté l'espéranto pour ses échanges par dessus les barrières linguistiques, culture que, que je le veuille ou non, j'ai intégrée et envers laquelle je suis redevable de bien des richesses intellectuelles, culturelles et affectives.


Bien amicalement,
Claude Piron.